J’ai quitté mon appartement.
Pas par choix.
C’est lui qui a commencé.
Ça a débuté doucement : les murs ont développé des poils.
D’abord duveteux. Puis rêches. Puis gras.
J’ai compris que l’endroit n’était plus locatif, mais digestif.
Il me voulait. Il me testait.
Il me mangeait par les pieds.
Alors j’ai fait ce que toute femme sensée ferait :
je suis rentrée en moi.
J’ai inversé les cloisons.
J’ai plié mes organes en angle droit.
Mon diaphragme est devenu mezzanine.
Ma vessie, un bidet personnel.
J’ai placé mes meubles dans mon abdomen.
Une commode dans le foie.
Un micro-ondes entre les côtes flottantes.
J’ai branché les multiprises directement sur mes nerfs.
Chaque choc électrique : une lumière douce dans le ventre. Un cocon.
Je n’ai plus besoin de porte :
j’ouvre mon sternum pour accueillir les invités.
Je leur dis :
« Pose ton manteau sur mes poumons. Fais comme chez moi. Enfin… chez moi-moi. »
J’ai repeint mes intestins en terracotta.
J’ai suspendu des plantes dans mes sinus.
Mon estomac est devenu un petit salon où l’on peut boire du thé noir en écoutant les bruits digestifs du monde.
Parfois je perds un couteau à beurre dans la rate.
Parfois je retrouve un vieux journal entre deux vertèbres.
Parfois je redécouvre une pensée jamais digérée, coincée dans un coin sombre du cerveau-couloir.
Je me réveille la nuit en sueur.
La moquette dans mes bronches.
Les draps collés à mes alvéoles.
Et je me dis :
“Est-ce encore un corps ? Ou juste une maison hantée par mon ancienne humanité ?”
Un jour, mon ex a toqué à mes omoplates.
Il voulait “parler”.
Je l’ai laissé entrer.
Je l’ai laissé visiter.
Il a trouvé l’endroit charmant.
Alors je l’ai refermé dedans.
Littéralement.
Aujourd’hui, il dort dans ma hanche gauche.
Parfois il crie.
Mais mes murs sont bien isolés.
Je suis à la fois logeuse et habitante.
Propriétaire et cloison.
Je suis mon propre bail, mon propre grenier.
Et quand je pleure, c’est la plomberie qui fuit.


Laisser un commentaire