Maximilien qui pue

Maximilien n’a plus d’eau chez lui. Maximilien a donc sauté quelques douches. Maximilien pue. Et il assume. Ses voisins reculent, les chiens grognent, les joggeurs s’écartent… et lui savoure sa singularité poisseuse. Mais quand l’eau revient enfin, il découvre que la propreté n’est pas forcément synonyme de bonheur.

Chapitre 1 : L’homme-soupe

Maximilien, 26 ans, peau grise de fatigue, cheveux en grumeaux, vêtements collés par les jours passés. Il ne se lave plus. Il ne se lave plus parce qu’il ne peut plus. L’eau, chez lui, a déserté depuis cinq jours. Un tuyau fendu, un plombier fantôme, et la promesse vague d’un retour à la normale. En attendant, Maximilien fond. Il fermente. Il pue.

Il se réveille chaque matin dans un drap qui crisse sous l’huile corporelle, il se lève comme une lasagne trop cuite, ses mouvements collent, ses doigts sont poisseux, ses aisselles dégagent une atmosphère moite, complexe, qui se pose sur les objets comme une brume acide. Il vit dans un appartement de 27 mètres carrés devenu bocal, où l’air n’est plus air mais soupe. À même le sol, des chaussettes mortes, des serviettes ratatinées en cailloux odorants, un t-shirt devenu rigide, presque vertical.

Sa peau est épaisse de crasse, mais il s’y habitue. Il se touche le visage et reconnaît le grain neuf de sa personne, rugueuse, sale, mais réelle. Maximilien, abandonné par la civilisation aqueuse, est en train de muer. Il devient autre. Il devient Maximilien-qui-pue. Il rit tout seul parfois, un rire fuyant, car il sait que même les chats errants l’évitent. Il ne veut pas demander de l’aide. Il ne veut pas qu’on le voie ainsi.

Et puis, au fond, quelque chose en lui s’accroche à cette déliquescence. Il y trouve une vérité. Il n’est plus un homme propre, interchangeable. Il est unique. Singulier. Il est odeur, il est moiteur, il est souvenance. Il marche, chaque jour, avec cette auréole invisible autour de lui, cette signature, ce nuage, cette certitude : personne ne pourrait être lui, pas même un jumeau. Il est Maximilien. Il est sale. Il pue. Il est entièrement lui.

Et ce matin-là, comme un acte de défi, il sort. Il sort dans le parc, avec son nuage, avec sa légende.


Chapitre 2 : Le royaume des regards

Dès qu’il passe le portillon du parc, le monde s’épaissit. L’air se tend. Maximilien avance avec lenteur, dignité poisseuse, dans les allées de gravier mouillé. Les joggeurs s’écartent sans se parler. Les chiens tirent sur leur laisse, gueules froncées. Un enfant dit tout haut : « Maman, pourquoi le monsieur il est tout brillant ? » Et la mère fait demi-tour, serrant la main du petit comme s’ils croisaient un prophète radioactif.

Chaque banc semble le fuir. Les arbres eux-mêmes bruissent d’un léger frisson. Il s’assoit tout de même, au centre du parc, sur un banc déserté. L’humidité de son dos imprime la forme de sa présence sur le bois, une signature sombre, floue, moite. Il ferme les yeux. Il écoute. Les pas ralentis. Les respirations suspendues. Les conversations à demi-mot, qu’il n’entend que comme chuchotis flottants. Il est au centre d’un théâtre de réactions, une anomalie odorante, un météore social.

Mais il reste. Il s’ancre. Il ne fuit pas. Ce parc est à tous. Il a autant droit que les autres à l’ombre tiède des platanes. Tant pis s’il est pestiféré. Il est là, tel qu’il est. Il est Maximilien-qui-pue, et son odeur est sa bannière. Une mouette se pose près de lui, puis repart aussitôt. Il sourit. Ce moment, cette résistance passive, cette existence assumée, c’est une victoire. Une gloire molle, certes, mais une gloire quand même.


Chapitre 3 : La douche et l’effacement

Ce soir-là, contre toute attente, l’eau revient. Un filet d’abord, puis un grondement dans les canalisations. Un torrent tiède jaillit du robinet de la cuisine. Maximilien reste debout, fasciné, devant le miracle liquide. Il hésite. Il tourne en rond. Il se gratte l’épaule, la sensation de croûte sèche sous l’ongle.

Il finit par entrer dans la douche. Vêtu. Il laisse l’eau tomber sur lui comme une pluie céleste. Lentement, la crasse se délite. Le savon mousse, lutte, sature. Il sent ses couches d’odeur se délaver, comme si on effaçait des souvenirs. Le sol devient marécage. L’eau est noire, épaisse, presque honteuse. Il reste là longtemps. Trop longtemps. Lorsqu’il sort, il est propre. Propre comme un hôpital. Propre comme une table rase.

Mais quelque chose a disparu. Son reflet lui paraît étranger. Il se sent lisse. Effacé. Comme si en se lavant, il avait perdu sa voix intérieure. Il cherche son odeur — cette aura, cette signature — et ne la trouve plus. Il est Maximilien. Il n’est plus Maximilien-qui-pue. Il est vide. Propre, mais flou.

Il regarde la douche, puis sa serviette. Il pense à rouler dans la terre. À remettre son t-shirt rigide. À respirer fort dans ses baskets fermées. Peut-être demain. Pas tout de suite. Juste pour retrouver un peu de lui. Un peu de crasse. Un peu de vérité.


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