Une dame entre dans un supermarché à l’heure de la sieste des caissiers, ce moment où personne ne vous regarde vraiment. Elle se dirige vers la balance des fruits et légumes, mais pas pour peser des pommes ou des poires. Non, elle a décidé que sa main gauche méritait enfin une estimation officielle de sa « valeur en grammes ».
Les gens la regardent avec un mélange d’ennui et de curiosité. Un type dans l’allée des conserves soupire et remet son paquet de haricots à l’envers, comme pour dire : « J’ai mieux à faire que de commenter ça. » La dame pose sa main gauche sur la balance. Le plateau tremble légèrement, comme s’il savait que le monde venait de perdre un peu de sens.
Le chiffre apparaît : 238 grammes. Elle hoche la tête, satisfaite. Pas parce que c’est lourd ou léger, mais parce qu’elle vient de prouver que même sa main gauche, ce membre inutile pour la plupart des choses importantes, a un poids précis. C’est là, c’est réel, c’est mesurable. La caissière derrière le rayon la regarde et note mentalement qu’elle va finir seule mais parfaitement consciente de son poids de main.
Puis la dame retire sa main, la balance affiche zéro, et elle continue son chemin dans l’allée des pâtes. Personne ne parle, personne ne rit. Tout le monde retourne à sa propre absurdité : le type avec les haricots finit par acheter exactement 12 boîtes, comme s’il pouvait ainsi mettre un peu d’ordre dans sa vie inutile. La dame disparaît au rayon surgelés, laissant derrière elle une balance qui sait désormais que le poids d’une main gauche de dame vaut exactement 238 grammes.
La revue inutile 
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